La prise de son : L’organisation

Dans la vie de tous les jours, nous sommes entourés de sons, de bruits et de voix. C’est notre premier moyen de communiquer avec les autres et l’ambiance sonore nous donne instinctivement des renseignements supplémentaires à propos de l’endroit où on se trouve. Porter une attention à la prise de son lors d’un tournage permettra de créer l’environnement sonore pour rendre une scène naturelle et crédible aux spectateurs. Ça leur évitera de faire des efforts pour comprendre ce qu’il se passe et de se laisser emporter par l’histoire.

Dans cette série de quatre articles, nous allons aborder les informations de base que devrait savoir un preneur de son et par conséquent les personnes qui doivent travailler avec lui. Son but est de faciliter les tournages où soit l’équipement, soit un preneur de son d’expérience manquent et on doit se débrouiller avec les moyens du bord et le personnel disponible.

Dans les deux premiers articles, nous avons :

Dans cet article, nous allons voir les étapes de planification, de préparation et de travail sur le plateau pour le preneur de son (et ceux qui travaillent avec lui) et qui vont pouvoir lui faciliter le travail.

Dans le prochain et dernier article, je vais vous donner des références pour en apprendre davantage sur le sujet.

Planification

Avant même que le preneur de son ne soit impliqué dans le projet, le réalisateur devrait prendre certaines décisions qui vont avoir un impact sur le côté sonore de son film :

Budget

Prenez l’habitude d’inclure un montant pour le son dans votre budget, au même titre que pour la caméra. Si vous trouvez un preneur de son professionnel, ce montant servira à louer son kit (même si le tournage est bénévole). Sinon, ça servira chez un locateur d’équipement.

Simple ou double système ?

En simple système, le son est enregistré directement dans la caméra. On a besoin seulement d’un micro shotgun, une perche, un micro cravate (si possible) et une mixette, plus 2 câbles XLR pour entrer dans la caméra.

En double système, le son est capté sur une enregistreuse et synchronisé avec l’image seulement en postproduction. Si on tourne avec une caméra DSLR, le double système est grandement préféré. Le maillon faible est l’entrée ” sur ces caméras. Pour éviter une détérioration du signal audio, on doit rester en connexion XLR du début à la fin du chemin audio (du micro jusqu’à l’enregistreuse).

Note : Beaucoup de directeurs photo (DOP) préfèrent le double système pour garder leur liberté de mouvement. C’est toutefois le réalisateur qui prend la décision finale, tenant compte des besoins de la postproduction, son échéancier, etc.

Préparation du tournage

Le scénario et le découpage

C’est un cheval de bataille des preneurs de son que de recevoir le scénario ainsi que le découpage avant le tournage. Si l’acteur saute à l’eau, joue torse nu, ou a une scène de combat, la prise de son en est affectée beaucoup plus que la prise de vue puisque la perche devient le principal (voire seul) moyen de prendre le son.

Visite technique

Le DOP est responsable de l’équipe technique et le preneur de son relève de lui. Il est essentiel que le DOP et le preneur de son se parlent avant le tournage.

Il est souhaitable que le preneur de son puisse accompagner le réalisateur et le DOP lors des visites des lieux de tournage. Sinon, c’est la responsabilité du DOP de vérifier l’environnement sonore et d’informer le preneur de son de tout problème lié au son.

Les problématiques de prise de son peuvent avoir un impact considérable sur le déroulement du plateau. Si le son n’est pas considéré en préproduction, il reste peu de marge de manœuvre par la suite.

Quelques exemples de problèmes qui peuvent déjà être décelés pendant une visite technique :

  • Chiens qui jappent,
  • Craquements de plancher,
  • Autobus/avions/trains/camions,
  • Construction avoisinante,
  • Air climatisé/échangeur d’air,
  • École primaire/garderie à proximité,
  • Clocher d’église (surtout si vous tournez la fin de semaine),
  • Alarmes de voitures fréquentes,
  • Poste de pompiers/police, hôpital (sirènes) à proximité.

Ce sont les sons irréguliers qui détonnent la plupart du temps avec l’ambiance du film et, pis, peuvent casser la concentration des acteurs dans une fraction de seconde.

Costumes

Les costumes sont rarement choisis en fonction de la prise de son, avec les résultats parfois désastreux. À éviter :

  • Les tissus bruyants tels :
    • La soie,
    • Le rayon,
    • Le polyester et
    • D’autres tissus synthétiques ;
  • Les robes courtes très ajustées ;
  • Des hauts talons ou autres souliers bruyants durant les scènes de dialogue en marchant ;
  • Les chemises ou draps de lit neufs (veuillez les laver au moins deux fois, avec assouplissant).

Location d’équipement

Si vous louez un kit de son, louez-le au moins quelques heures avant le tournage pour le monter et vérifier que tout fonctionne.

Bénéficiez de l’aide de la maison de location. Ils donnent un mini cours sur place au besoin. Vidéoservice et Main Film sont sur appel en fin de semaine pour les urgences. Sinon, assurez-vous d’avoir des coordonnés de personnes qui pourraient vous dépanner par téléphone. Et surtout, téléchargez les manuels avant de partir !

Tâches sur le plateau de tournage

Tout d’abord quelques remarques :

  • Assurez-vous que le son sur la caméra est activé en tout temps, soit pour capter le son du preneur de son, soit pour avoir un son guide qui servira à synchroniser en postproduction.
  • Clappez au début de chaque scène, même si c’est seulement avec les mains. Cela aide le monteur et réduit le temps de postproduction (donc, essentiel pour les Kino Kabaret !!). PluralEyes, le logiciel utilisé le plus fréquemment pour cette tâche, a un taux de réussite plus élevé avec un son de clap au début des fichiers.
  • Entre les scènes, le câble XLR entre le micro shotgun et la mixette ou l’enregistreuse est roulé et attaché au sac de son par un velcro ou un mousqueton. C’est une question de sécurité sur le plateau !

Enregistrement des dialogues

Le preneur de son a comme tâche principale de bien capter les dialogues. Cela implique d’aller placer un micro le plus proche possible des comédiens sans qu’il ne soit vu dans de l’image. La plupart du temps on utilise un micro canon sur une perche et pointé vers les acteurs d’en haut pour ne capter que leur dialogue, tout en évitant les bruits venant d’ailleurs.

Je vous réfère à un vidéo se retrouvant sur le site Videomaker à propos des pièges à éviter pour le perchiste.

Vous pouvez aussi voir les techniques de base dans le vidéo suivant (en français) :

ainsi que le vidéo suivant (en anglais) :

Élimination de bruits ambiants

La première tâche du preneur de son sur chaque lieu de tournage est d’éliminer ou amoindrir le plus possible tout bruit environnant, qu’il soit constant ou intermittent. Idéalement, le preneur de son ou, en son absence, le DOP en aurait pris conscience lors de la visite de préproduction. Sinon, il faut prendre 5 à 10 minutes et faire l’écoute du lieu pour localiser les sources sonores présentes.

Astuce : Dans un monde idéal, le voisinage aurait été avisé par écrit de la tenue du tournage 2 jours à l’avance. Si problème sonore il y a, le voisin sera plutôt accommodant lorsque le preneur de son sonnera à sa porte.

Les sources de bruit les plus fréquentes sont :

  • les moteurs à condensateur (réfrigérateur, air climatiseur, pompe de piscine, congélateur, chambre à vin);
  • les échangeurs d’air (surtout dans les bureaux), fournaises, ventilateurs, aspirateurs;
  • les téléphones, caisses enregistreuses, ordinateurs, Play Station, fours micro-ondes et autre appareil électronique qui bourdonne ou émet des bips;
  • les ascenseurs, escaliers roulants, monte-charges;
  • l’eau qui coule, y compris dans les pièces et étages adjoints (chasse d’eau, douche, lave-vaisselle, laveuse/sécheuse, jacuzzi);
  • des moteurs stationnaires ou qui restent dans la même espace sonore (auto/camion devant la maison, tondeuse, motocross, jouets motorisés).

Fermer l’appareil est la solution la plus facile, sinon déménagez la source dans une autre pièce lorsque possible.

Astuce : un bruit constant est beaucoup plus facile à régler en postproduction qu’un bruit intermittent. Si on ne peut pas fermer l’air climatisé ou le frigo, vaut mieux descendre la température cible pour que l’air ou le frigo fonctionne 100 % du temps.

C’est la responsabilité du preneur de son de régler ces problèmes ou, dans le cas contraire, d’aviser le réalisateur de la situation dans les plus brefs délais (voir la section « Solutions pour les bruits indésirables » ci-dessous). Le tact et la diplomatie sont de mise. Il faut avoir une idée réaliste de combien de temps va durer le tournage dans le lieu, quitte à en ajouter une heure ou deux. Au besoin, il faut recourir au réalisateur pour négocier avec le voisinage.

Il va sans dire qu’on doit laisser les lieux dans le même état qu’avant le tournage. Tout appareil qui a été fermé ou déménagé dans une autre pièce doit être remis exactement comme il a été trouvé en premier lieu.

Astuce : mettre ses clefs (iPhone) dans le frigo éteint est une solution efficace pour ne pas oublier de le rallumer!

L’équipe de tournage elle-même peut devenir l’ennemi du son si elle perd la discipline du silence pendant les prises. La complicité du premier assistant réalisateur est essentiel à cet égard. En l’absence de celui-ci, le preneur de son doit rester vigilant, dès les premières prises. C’est une lutte constante – plus l’équipe est fatiguée, plus la tendance de faire du bruit accroît.

Enregistrement d’un fond d’air (Room-tone)

Une autre tâche importante est la prise d’un room-tone (« fond d’air ») d’au moins 30 secondes pour chaque lieu. Le room-tone est enregistré avec les acteurs et l’équipe technique en place, dans le même angle que les dialogues et dans le silence le plus complet. Les respirations de l’équipe et les acteurs ainsi que les bruits présents pendant les prises précédentes devraient s’y trouver. En postproduction, le room-tone permet de remplacer les bruits courts indésirables avec une ambiance neutre. Le room-tone peut être enregistré à n’importe quel moment, pourvu que l’ambiance sonore reste la même que pendant les dialogues.

Astuce : Si une ambiance change de tout-au-tout entre les prises, le réalisateur doit en être avisé et une décision de postproduction doit être prise sur-le-champ, à savoir :

  • si on accepte une prise moins bonne avec une ambiance désirée, ou
  • si on va de l’avant avec la nouvelle ambiance en espérant un meilleur jeu d’acteurs.

Le changement d’ambiance doit être noté impérativement par la scripte car il réduit le nombre de prises utilisables en montage.

Enregistrement de sons seuls

Tout enregistrement fait sans image s’appelle un son wild ou son seul. La première catégorie de son seul consiste à enregistrer une ambiance dérangeante (surtout extérieure). Cela permet au monteur sonore de soustraire les sons indésirables des pistes où ces sons sont imbriqués, sans nuire au dialogue.

Une deuxième utilisation du son seul est l’enregistrement des sons qui pourraient aider la postproduction sonore. Par exemple :

  • les mouvements d’acteurs (fermer la porte, poser un verre, marcher),
  • une voiture d’époque,
  • un carillon à suspendre,
  • des vaches dans les champs à côté,
  • les oiseaux migratoires qui volent au-dessus,
  • des enfants qui jouent,
  • une cloche d’école.

Une troisième utilisation du son wild est d’enregistrer une ambiance monophonique avec la perche. Ce n’est pas la même chose qu’un room-tone, qui est utilisé uniquement pour remplacer des sons indésirables dans les pistes dialogue. Une ambiance dure beaucoup plus longtemps (3 à 10 minutes) et est destinée à enrichir le mix global, voire remplacer la musique complètement. Bien mixée (et même transformée en faux stéréo), cette ambiance transforme une scène en ajoutant une myriade de sons subtils et réalistes, surtout lorsqu’il y a peu ou pas de dialogue.

Note : Le film No Country for Old Men des frères Cohen ne contient aucune musique. La trame sonore est entièrement meublée de sons ambiants.

Solutions pour les bruits indésirables

Il y a plusieurs situations où certains bruits indésirables sont inévitables. Pour les atténuer, voici quelques pistes de solutions aux problèmes de prise de son les plus courants, de la plus souhaitable à la plus drastique :

  1. Prendre un room-tone qui inclut tous les bruits indésirables (au moins une minute);
  2. Demander aux acteurs de parler plus fort ;
  3. Changer l’emplacement ou le déplacement des acteurs pour éloigner la source de bruit ;
  4. Changer l’angle de la caméra pour que la source de bruit soit dans l’angle mort de la perche ;
  5. Persuader les personnes qui causent le bruit d’arrêter pour le temps du tournage ;
  6. Changer la valeur de plan pour permettre au perchiste de se rapprocher des acteurs ;
  7. Changer la position de tournage (ne serait-ce que de quelques mètres) pour diminuer le volume — mettre un mur ou autre obstruction massive entre la source et les acteurs est très efficace ;
  8. Utilisez seulement les micros cravates (surtout si le bruit contient beaucoup de basses fréquences). Mettez les acteurs de dos au bruit, leurs corps bloqueront la majorité des basses fréquences.
  9. Changer l’horaire de tournage pour éviter les bruits aux heures fixes (église, école, l’heure de pointe);
  10. Refaire les dialogues dès que possible dans un endroit plus paisible mais avec la même ambiance sonore ;
  11. Doubler les dialogues en studio en prenant le meilleur son guide possible sur le plateau ;
  12. Couper les dialogues et
    • Ajouter une narration ou
    • Se fier au langage corporel des acteurs ainsi que l’ambiance sonore pour raconter l’histoire. L’ambiance devient l’avant-plan. Les acteurs peuvent y réagir, ajoutant du naturel à la scène.

Plus tôt toute l’équipe saura quelles mesures seront prises, mieux on s’ajustera.

Note : Les acteurs sont très sensibles à leur environnement sonore, et s’en servent de façon inconsciente. Essayez de minimiser les bruits environnants autant que possible, surtout les sons irréguliers (portes qui claquent, sonneries, jappements de chien).


Dans la prochaine partie, je vous donne des références pour pousser plus loin votre exploration du domaine de la prise de son.

N’hésitez pas à laisser des commentaires ci-dessous si des informations ne sont pas claires ou si vous avez des questions supplémentaires.


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