Dans cette série de trois articles, je tente de lever le voile sur ce qu’est la colorisation. Le premier article abordait ses objectifs ainsi que les outils du coloriste. Dans ce second article, je m’attarde à la luminosité et au contraste d’une image et comment il est possible de les manipuler. La couleur sera le sujet du dernier article.
Étalonnage primaire vs. secondaire
L’étalonnage se divise en deux types d’opérations:
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Les opérations primaires.
Ce sont des opérations générales, c’est-à-dire qui s’appliquent à l’image globale. Par exemple, augmenter la saturation, « écraser » les ombres, donner une teinte orangée.
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Les opérations secondaires.
Ce sont des opérations sélectives, c’est-à-dire qui s’appliquent à une portion de l’image. Cette portion peut être déterminée par un masque ou par une sélection de couleur (qualifier). Par exemple, éclaircir le visage d’un personnage, rajouter de la saturation dans le ciel. L’usage de vignettes, qui consiste à assombrir les contours de l’image est un autre exemple d’opération secondaire.
Dans cet article, nous étudierons principalement les corrections primaires sur la luminosité et le contraste.
Utilisation des graphiques
Les outils d’étalonnage (dédiés ou génériques) sont dotés de graphiques (scopes) permettant d’analyser la luminosité et la couleur d’une image. À priori, ces graphiques peuvent sembler superflus: pourquoi ne pas tout simplement se fier à l’image elle-même? Les graphiques sont une représentation objective d’une image, alors que l’interprétation de l’image elle-même dépend de plusieurs conditions liés à l’environnement de travail (qualité et calibration du moniteur, éclairage ambiant, fatigue du coloriste). Par exemple, à force de regarder des images teintées orange, l’œil s’habitue et ne voit plus la teinte! Les graphiques permettent de facilement identifier un problème précis sans avoir passer par un processus d’essais et erreurs. Ils permettent aussi de travailler dans les limites du signal numérique et de respecter les standards de diffusion.

Les graphiques tels qu’ils apparaissent dans Davinci Resolve. De gauche à droite et de haut en bas: l’oscilloscope, la parade RVB, le vecteurscope et l’histogramme.
Il existe 4 types de graphiques principaux:
- L’histogramme,
- L’oscilloscope,
- Le vecteurscope
- Le parade RVB.
L’usage de certains de ces graphiques sera expliqué tout au long de cet article.
La luminosité et le contraste d’une image
Une image numérique est constituée d’une grille de points lumineux, chaque point ayant une valeur spécifique de luminosité, 0% étant noir et 100% étant blanc. La plupart des points se trouvent quelque part entre les deux. Le contraste représente la différence entre les zones claires et sombres d’une image. Une image dont tous les points ont une valeur de luminosité similaire est peu contrastée. Une image qui possède des points sur toute l’échelle de luminosité est très contrastée. Augmenter le contraste d’une image peut la rendre plus percutante et amplifie l’apparence des détails.
L’oscilloscope est un graphique permettant de bien analyser la luminosité et le contraste d’une image. Ce graphique représente l’intensité lumineuse de l’image de gauche à droite. Considérons la figure suivante: le centre de la photo est très clair. Le contour est, au contraire, très sombre. Ceci se reflète fidèlement dans le graphique plus bas. Les valeurs du signal atteignent le maximum pour les zones claires au centre, et elles atteignent le minimum pour les zones sombres sur les côtés. Évidemment, cette image est très contrastée.
En colorisation, une image est divisée en 3 zones: les blancs (highlights, gain), les tons moyens (midtones, gamma) ainsi que les noirs (shadows, lift, setup). Ces zones ne sont pas distinctes, mais se chevauchent. Elles sont identifiées approximativement dans la figure précédente.
Le coloriste possède divers outils lui permettant de manipuler la luminosité d’une image. Premièrement, il peut augmenter ou réduire l’exposition d’une image, c’est-à-dire augmenter ou réduire la luminosité de tous les points uniformément. C’est l’équivalent de changer la valeur de ISO ou de ASA sur une caméra. Cette opération peut assombrir ou éclairer l’image, mais n’a aucun impact sur le contraste.
Ensuite, le coloriste peut contrôler indépendamment les blancs, les tons moyens ou les noirs. C’est ainsi qu’il affectera le contraste de l’image. Puisque les zones se chevauchent, une manipulation d’une zone aura un impact sur les autres zones. Par exemple, un ajustement des tons moyens aura un léger impact sur la zone des noirs et des blancs, bien que les noirs purs (0%) et les blancs purs (100%) ne seront pas affectés. Il est à noter qu’un ajustement de contraste aura un impact sur la saturation d’une image. C’est pourquoi les manipulations de luminosité devraient généralement précéder les ajustements de couleur.

Un ajustement de contraste permet de récupérer du détail dans les parties sombres de l’image. Dans l’oscilloscope, les zones à gauche et à droites ont été relevées par l’opération.
Manipuler les noirs
Réduire les noirs aura pour effet d’augmenter le contraste: les zones sombres le deviendront encore plus sans affecter les zones claires. On dit ici: « écraser les noirs » (crush the blacks). Il faut éviter d’écraser les noirs au-delà de la capacité du signal numérique puisque cela aura pour effet de réduire le niveau de détail.

À gauche, l’original. Au milieu, les noirs ont été abaissés légèrement. À droite, les noirs ont été écrasés.
Source: « Les yeux ouverts », réalisé par JF Robichaud
Dans l’image qui précède, l’original, tiré de la caméra, est peu contrasté, tel que le démontre son oscilloscope dans lequel le signal ne va ni très haut, ni très bas. Abaisser légèrement les noirs donne un résultat plus dense et une augmentation incident de la saturation. Écraser les noirs provoque une perte de détail dans les zones sombres: l’oscilloscope atteint les valeurs minimums.

La flèche jaune indique comment abaisser les noirs dans Final Cut Pro 7
À l’opposé, relever les noirs rendra les zones sombres plus grises ou voilées et permettra d’y discerner plus de détail, mais augmentera également l’apparence du grain numérique, ce qui est généralement indésirable. Si l’image a été fortement sous-exposée à la captation, au-delà du signal minimum, il sera impossible de récupérer du détail dans les noirs.
Manipuler les blancs
Les blancs représentent les zones les plus claires de l’image. Manipuler les blancs permet de modifier l’apparence de la lumière dominante. On peut ainsi rendre l’image plus ou moins lumineuse.
Tout comme pour les noirs, si les blancs sont poussés au-delà des limites du signal numérique, cela causera une perte de détail. On parle ici de clipping. Il est possible que l’image souffre déjà de clipping si elle a été surexposée à la captation.

À gauche, l’image suite à l’ajustement des noirs effectué plus haut. Au centre, légère augmentation des blancs. À droite, les blancs ont été augmentés de façon abusive.
Source: « Les yeux ouverts », réalisé par JF Robichaud
L’image précédente démontre l’impact d’un ajustement des blancs. Au centre, les blancs ont été augmentés légèrement, ce qui rend l’image plus lumineuse et plus naturelle. On y discerne aussi plus de détail. À droite, les blancs ont été augmentés de façon abusive, ce qui cause une surexposition. Remarquons comment l’oscilloscope réfléchit bien les changements de luminosité.
Il est parfois acceptable d’augmenter les blancs au point d’y perdre des détails: imaginons une scène intérieure dans laquelle une fenêtre laisse entrevoir l’extérieur. Généralement, l’extérieur sera hautement surexposé par rapport à l’intérieur. Il est parfois préférable de faire disparaître tout détail extérieur en augmentant les blancs.
Manipuler les tons moyens
Augmenter ou réduire les tons moyens (gamma) aura pour effet d’éclaircir ou assombrir les zones centrales de la luminosité. Puisque les zones de luminosité se chevauchent, un ajustement de gamma pourra nécessiter un ajustement contraire sur les blancs ou les noirs. Par exemple, sur une image sous-exposée à la captation, je serai porté à augmenter le gamma pour éclaircir l’image, mais puisque cela relèvera aussi les zones les plus sombres, je devrai compenser en réduisant légèrement les noirs, afin de ramener du contraste. Il est commun en colorisation d’accompagner un ajustement principal par un ajustement contraire sur la zone voisine.

Ici, les tons moyens ont été légèrement relevés pour éclaircir l’image. Suite à cet ajustement, les noirs ont été abaissés légèrement pour conserver des ombres denses
Source: « Les yeux ouverts », réalisé par JF Robichaud

Dans Avid Media Composer, les flèches jaunes démontrent comment relever les tons moyens, tout en rabaissant légèrement les noirs pour compenser.
Dans une scène conventionnelle, l’élément principal de l’image devrait avoir une exposition moyenne. Par exemple, un visage devrait généralement se trouver entre 40 et 60% de luminosité. Il y a évidemment des exceptions, mais si un visage se trouve à 20% d’exposition, l’image est probablement très sous-exposée.
Comment aborder les manipulations de contraste
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La première question à se poser lorsque l’on s’apprête à manipuler l’apparence d’une image est la suivante: l’image est-elle correctement exposée?
Si les éléments primordiaux de l’image (par exemple un visage) sont trop sombres ou trop clairs, on pourra commencer par ajuster les tons moyens.
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L’image devrait-elle être plus lumineuse, pour suggérer une journée ensoleillée?
Alors il faudra remonter les blancs. Au contraire, s’il s’agit d’une scène de nuit, on voudra probablement effectuer l’opération contraire.
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Quand aux zones sombres, sont-elles suffisamment riches, ou ont-elles besoin d’un peu plus de densité?
On ajustera les noirs au goût. Il est généralement préférable de conserver un peu de détail dans les zones sombres. Une image très contrastée, avec les noirs trop écrasés, peu avoir l’air cheap.
Le rôle du coloriste est de respecter l’intention et le ton du projet, et non pas de tout simplement faire de belles images. Chaque genre a ses conventions et même si nul n’est obligé de les respecter, il faut au minimum savoir lorsqu’on en déroge. Une image très contrastée est appropriée pour un thriller, mais moins pour une comédie légère.
Le coloriste doit aussi savoir que les conditions de visionnement ultimes sont rarement idéales. Avec un projecteur mal ajusté, une image très assombrie pourrait devenir tellement noire que tout détail serait perdu.
L’image LOG
Plusieurs caméras captent des images dans un format de type LOG. Ces formats encodent l’information lumineuse de manière logarithmique; il en résulte des images à très faible contraste et saturation. L’avantage, c’est que ces images sont beaucoup plus malléables, offrant une grande marge de manœuvre en colorisation. Pour que ces images obtiennent une apparence naturelle, il faudra soit appliquer une table de conversion (Look-Up Table ou LUT) ou les traiter manuellement en augmentant le contraste et la saturation.

À gauche, l’image originale (mode FILM de la BlackMagic Cinema Camera) est peu contrastée. Rehausser les blancs et baisser les noirs, ainsi qu’augmenter la saturation permet d’obtenir une image plus naturelle.
Source: JF Robichaud
La vignette
Bien que je veuille limiter la portée de cet article aux corrections primaires, il est difficile d’ignorer la vignette, qui est une forme de correction secondaire. En général, appliquer une vignette consiste à assombrir les contours de l’image. La vignette est en fait un masque (ovale, rectangulaire ou irrégulier) autour duquel on applique une correction. Le rôle de la vignette est de mettre l’emphase sur le centre de l’image, en désaccentuant la périphérie.
Il ne faut pas en abuser! Une vignette trop forte est un cliché. Il ne faut pas « sentir » la vignette. Elle doit donc avoir une application douce et graduelle. L’image suivante illustre l’original de la caméra (première image en haut). Au centre, l’application d’une vignette subtile vient assombrir les contours et donner du relief à l’image. En bas, une vignette trop forte, dont la délimitation est trop apparente.

En haut, l’image originale. Au centre une légère vignette. En bas, une forte vignette.
Source: « Firebird » (Fung Chiu Duo), réalisé par Alexandra Oakley
Tous les logiciels de montage offrent un effet de base permettant de créer des vignettes et de manipuler le résultat avec de simples contrôles. Les logiciels de colorisation dédiés permettent de créer des masques de toutes formes, ce qui permet d’adapter la vignette au contenu de l’image.

Dans Final Cut Pro 7, le filtre permettant de créer une vignette s’appelle tout simplement… Vignette.
Maintenir une cohérence
Le coloriste ne travaille pas que sur des plans individuels, mais bien sur un ensemble. Il est donc important que son travail soit harmonisé du début à la fin. Il doit régulièrement comparer la colorisation d’un plan aux plans qui précèdent et à ceux qui suivent. Ceci dit, il est parfaitement acceptable de créer des looks distincts pour des scènes qui se déroulent dans des lieux différents ou à des moments différents.

L’option Lightbox de Davinci Resolve procure une vue d’ensemble du film, utile pour vérifier la cohérence de la colorisation.
Source: « Croisements », réalisé par Jean-François Robichaud
De temps à autre, il faut savoir prendre une pause et se demander si on s’en va dans la bonne direction. La meilleure chose à faire dans ce cas là, c’est de comparer l’image colorisée avec la version originale (en désactivant et en réactivant l’effet de colorisation de façon successive).
- Est-ce une amélioration?
- Est-ce que ça contribue à l’immersion, au propos et au ton du film?
- Est-ce que je suis allé trop loin?
Si le coloriste a le luxe du recul, il devrait reconsidérer son travail après une bonne nuit de sommeil.
Dans le prochain article, je couvrirai les manipulations des couleurs!