Dans cette série de trois articles, je tente de lever le voile sur ce qu’est la colorisation. Les deux premiers articles de la série ont décrit :
- Les objectifs du coloriste et les outils à sa disposition
- La luminosité d’une image, son contraste et les manipulations possibles sur ces deux aspects
Dans ce troisième article, je m’attarde aux manipulations de couleur et aux outils avancés.
La théorie derrière la couleur
Peut-on parler de colorisation sans parler de couleur ? La couleur peut être décrite en terme de teinte et de saturation.
- La teinte est tout simplement la nuance de la couleur: bleu, cyan, vert, jaune, orange, rouge ou magenta.
- La saturation est l’intensité de cette couleur. Une image avec une saturation nulle est en noir et blanc.
Le vecteurscope
Le vecteurscope est un graphique qui permet d’analyser la teinte et la saturation d’une image. Il s’agit d’un cercle dans lequel un signal s’étend dans différentes directions à partir du centre. Chaque direction représente une teinte particulière et plus le signal s’éloigne du centre, plus la saturation est forte.
L’image ci-haut a une saturation élevée. Le vecteurscope réflète cette réalité, par l’importante étendue du signal à partir du centre.
Le vecteurscope est doté de 6 petites boîtes identifiées d’une lettre. Il s’agit des couleurs :
- Rouge (R)
- Magenta (M)
- Bleu (B)
- Cyan (C)
- Vert (G)
- Jaune (Y)
Dans le vecteurscope ci-haut, l’étendue du signal dans la direction bleu/cyan (en bas à droite) est causée par la couleur des barils et de la chemise du personnage. L’étendue opposée, vers le rouge/orange/jaune est due principalement aux olives et à certains éléments du décor.
La position des carrés indique la distance maximale pour un signal légal (selon les normes de diffusion). Si le signal atteint ou dépasse l’une de ces boîtes, il vaudrait mieux réduire soit la saturation globale ou la saturation de la teinte en particulier.
Ci-haut, des ajustements de saturation sont réflétés par l’étendue du signal dans le vecteurscope.
Manipulations de base de la couleur
Tout comme pour la luminosité, le coloriste peut manipuler la couleur sur l’ensemble de l’image ou sélectivement, par zone. Pour ce faire, il utilise généralement les « roues de couleurs ». Chaque roue s’applique à une zone: noirs, moyens et blancs. Un ajustement sur l’une de ces roues aura un impact réduit sur les zones voisines. Pour faire un ajustement, il s’agit de pousser le contrôle de la roue dans la direction de la couleur désirée.
Ci-haut, une image souffrant d’une teinte indésirable. Dans le vecteurscope, le signal est décalé en direction de la boite Y, c’est-à-dire vers le jaune. Il est possible de neutraliser la teinte jaune en poussant les blancs et les tons moyens dans la direction opposée. Le contraste de l’image a également été augmenté.
Ajuster la teinte des blancs permet de changer la nature apparente de la lumière. Par exemple, pour suggérer l’effet d’un coucher de soleil, on peut pousser les blancs vers l’orange. Pour refroidir l’image, on poussera les blancs vers le bleu.
Idéalement, les zones sombres devraient avoir une très faible saturation. Les noirs devraient rester purs. Il est donc préférable de ne pas toucher à la couleur des noirs, sauf pour compenser pour un fort ajustement de teinte aux tons moyens. À moins évidemment que l’on désire créer une image très stylisée, évidemment!
La balance des blancs
La lumière naturelle du soleil de mi-journée est froide (c’est-à-dire teintée de bleu), alors que les lumières incandescente, dites au tungstène, sont chaudes (c’est-à-dire teintées d’orange). Cette propriété de la lumière se décrit par la température de couleur, exprimée en Kelvin. Plus la température de couleur est élevée, plus elle est bleutée, plus elle est basse, plus elle est orangée. Voici quelques données typiques, en Kelvin:
- Flamme de bougie, coucher de soleil : 1800 K
- Lampes au tungstène : entre 2800 et 3300 K
- Clair de lune : 4100 K
- Soleil direct : 6000 K
- Ciel nuageux : 6500 K
La caméra doit être ajustée de façon à compenser pour ces variations. C’est la balance des blancs (white balance ou WB). Les caméras offrent diverses façons de faire la balance des blancs:
- Un mode automatique, généralement à éviter
- Une série de modes prédéfinis pour les conditions les plus communes (ensoleillé, nuageux, tungstène, néon, etc.). Ceux-ci donnent de bons résultats dans les cas typiques
- Un mode par sélection numérique de la température de couleur en degrés Kelvin
- Un mode manuel. Il s’agit de placer une feuille ou un carton blanc devant l’objectif de manière à remplir entièrement le champs de vision, puis de sélectionner le bouton de balance manuelle
Lorsque la caméra est correctement ajustée aux conditions de lumière, les couleurs auront une apparence naturelle. Avec un ajustement incorrect, l’image aura une teinte indésirable, bleutée ou orangée. Si la caméra a tourné en mode RAW, il est possible, dépendant du logiciel utilisé, de modifier directement le paramètre de balance des blancs (en Kelvin). Sinon, l’ajustement est possible en poussant les blancs et les tons moyens dans la direction opposée de la teinte. Attention, il faut rarement éliminer entièrement la teinte. Une scène tournée au coucher du soleil devrait rester relativement chaude.
Couleurs spéciales
Il existe certaines couleurs pour lesquelles nous sommes beaucoup plus exigeants en terme de représentation exacte. Particulièrement :
- La couleur de la peau,
- La couleur du ciel
- La couleur de la végétation.
Le cas de la peau est particulièrement important. Dans tout travail de colorisation, il est primordial de préserver une teinte naturelle pour la peau des personnages. Une tendance trop poussée vers le vert, le bleu, le rouge ou le magenta dans la peau ne passera pas le test. D’ailleurs, même s’il existe chez l’humain une variété impressionnante dans l’apparence de la peau, cette variation se situe principalement au niveau de la clarté et de la saturation, dû aux variances de pigmentation. Il n’existe qu’une très mince variation de teinte. Si le vecteurscope était une horloge, la direction idéale pour la couleur de la peau se situerait entre 10h45 et 11h00. Lorsque la teinte de la peau tend trop vers le rouge ou le jaune, un ajustement de la couleur des tons moyens suffit souvent à régler le problème.
Pour ce qui est du ciel, il a généralement une teinte entre le bleu et le cyan. Si le ciel est d’un bleu trop pur, il aura l’air artificiel. Et pour la végétation, que ce soit des feuilles ou de la pelouse, nous en avons une mémoire idéalisée, avec une forte composante de vert. En fait, la végétation contient toujours une bonne dose de jaune. C’est au coloriste de décider s’il vise la version réaliste ou idéalisée.
Une colorisation stylisée
Au-delà de la simple correction et harmonisation, la colorisation est un véritable terrain de jeu pour la créativité. Les possibilités sont vastes.
Une approche stylisée n’est pas idéale pour tous les films. Le coloriste doit savoir se limiter à des ajustements subtils quand c’est ce qui est approprié.
Outils avancés
Une fois qu’il aura maitrisé l’application des corrections primaires, qui affectent l’image de façon globale, le coloriste sera tenté de se lancer dans les corrections secondaires, qui permettent de limiter une correction à une portion de l’image. Une discussion approfondie de la correction secondaire dépasse la portée de cette article, mais voici quelques pistes de départ.
Le masque (ou fenêtre) est la manière la plus évidente de limiter une correction. Le masque peut-être un rectangle, un ovale, ou toute forme irrégulière sculptée selon les besoins de la scène. Un usage courant serait d’éclaircir le visage d’un personnage avec un masque ovale stratégiquement placé.
Une correction secondaire peut également être limitée par une sélection basée sur la couleur, la teinte et/ou la saturation.
Une telle correction secondaire peut servir à ajouter de la saturation dans le ciel, changer la couleur d’un mur, donner un teint plus sain à un personnage, etc. Le coloriste combinera souvent différents types de corrections secondaires pour obtenir l’effet voulu. Il possède une multitude d’outils à sa disposition; c’est à lui de choisir lesquels seront les plus appropriés pour ses besoins immédiats. En fait, il existe généralement plusieurs méthodes pour arriver au même résultat!
Les outils du coloriste professionnel
Pour augmenter d’un cran la qualité de son travail, le coloriste professionnel peut s’équiper d’une surface de contrôle. Celle-ci permet avant tout de travailler plus rapidement et efficacement qu’avec une souris. Elle offre de nombreuses roulettes, boules et boutons pour manipuler les paramètres de l’image.
Étant avant tout tactile, la surface permet d’effectuer des corrections tout en gardant les yeux sur l’image et les graphiques, alors qu’avec une souris, les yeux doivent constamment passer de l’image aux roues de couleurs et vice-versa. Elle permet de faire des corrections simultanées, par exemple, descendre les ton moyens tout en augmentant les blancs, ou rajouter du bleu dans les moyens tout en compensant avec du orange dans les noirs. Puisque tous ces contrôles sont au bout des doigts, il est facile de manipuler l’image sans avoir à déplacer le curseur vers un coin ou un autre de l’interface.
Chaque écran ou moniteur possède ses propres particularités et ajustements arbitraires. L’apparence d’une image sur un MacBook ne sera pas la même que sur un téléviseur et encore moins en projection. La solution: un moniteur calibré, c’est-à-dire configuré selon un standard objectif. Son utilisation nous assure que l’image est la plus juste possible et qu’elle paraitra relativement bien sur une majorité de supports de diffusion.
Ces outils ne sont pas indispensables pour faire de la colorisation de base et ils peuvent être assez dispendieux, mais pour ceux qui considèrent se lancer dans la colorisation au niveau professionnel, ils apportent des avantages indéniables.
Pour finir, le coloriste ne doit pas oublier qu’il travaille avant tout au service d’une histoire. Il peut être tentant pour lui de se lancer dans des manipulations spectaculaires de l’image, de démontrer son savoir-faire. Mais c’est souvent dans la subtilité et la finesse qu’il servira le mieux le projet.